Une série haute en couture : Cristóbal Balenciaga.
10 décembre 2024
Écrite et dirigée par le trio de cinéastes espagnols Jon Garaño, Jose Mari Goenaga et Aitor Arregi, la série en six épisodes diffusée sur Disney+ raconte le parcours artistique et intime du couturier basque Cristóbal Balenciaga (1895-1972), depuis son arrivée en 1937 à la capitale française jusqu’à la fermeture de sa maison de couture lors de la tumultueuse année 1968.
Construite autour de l’un des rares entretiens rétrospectifs qu’il concéda après la fermeture de sa maison à la journaliste britannique du Times Prudence Glynn, elle fait le choix d’une esthétique assez austère, loin des fresques tumultueuses dont le cinéma et la télévision se sont récemment emparées avec d’autres figures majeures de la couture. Elle montre la besogne davantage que le génie, préfère le doute aux fulgurantes certitudes. Ce parcours patient, en apparence moins flamboyant que celui d’une Coco Chanel ou d’un Yves Saint-Laurent, n’est pas moins riche d’enseignements et nous place au plus près de la couture dans son acception la plus haute. À travers le jeu intériorisé de l’acteur espagnol Alberto San Juan, on entre par touches délicates dans l’intimité d’un orfèvre de la couture, d’une méticulosité extrême dès ses débuts, soucieux de garder le contrôle sur tout le processus de création. Sa personnalité complexe se dévoile dans un portrait qui n’est d’ailleurs pas toujours flatteur : le prodige de la couture apparaît souvent comme un monolithe glacial plongeant ses ateliers et ses défilés dans un silence monacal, tandis qu’une certaine frilosité caractérise ses positions politique et sociale (il semble peu s’émouvoir du sort de ses couturières qui se retrouvent au chômage lorsqu’il se retire en 1968).
Balenciaga s’impose cependant comme un couturier à part, l’un des seuls à savoir réellement coudre un vêtement de bout en bout quand les autres s’en tiennent au dessin. Il se hisse au-dessus de la mêlée en travaillant sans relâche ni compromis, trouvant peu à peu son identité et sachant se renouveler au fil des collections. Il expérimente incessamment, de ses robes « infantes » à la ligne « tonneau » des années 1940, ses robes « baby doll » et « queue de paon » dans les années 1950 ou encore ses robes-tuniques « sack ».
L’un des atouts majeurs de cette série est la visibilité qu’elle donne aux créations elles-mêmes, supervisées par la costumière de cinéma allemande Bina Daigeler qui a travaillé à partir des archives de la maison Balenciaga afin de reproduire chaque pièce quasiment à l’identique. Au-delà de la figure de Balenciaga, la série permet également d’appréhender le fonctionnement d’une maison de haute couture, que ce soit la collaboration avec les couturières ou la direction artistique et financière, la création restant tributaire des contingences économiques et politiques – en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale, dont Balenciaga se sort assez habilement puisque qu’il s’approvisionne en tissus en Espagne et peut ainsi garder sa maison ouverte. Au fil des épisodes très documentés mais non exempts d’un certain académisme, on découvre l’émulation entre les différentes maisons de haute couture, notamment celle de Christian Dior avec lequel il entretiendra une relation d’estime mutuelle et de concurrence. Coco Chanel et Dior prennent très tôt conscience qu’il faut savoir communiquer – en d’autres termes rendre leurs vêtements désirables, vendre des images et du rêve –, alors que Balenciaga abhorre la publicité et rechigne à s’exposer publiquement. S’il fait bien quelques concessions à la communication, il n’en demeure pas moins farouchement indépendant et secret. Peu de couturiers peuvent s’enorgueillir d’avoir mené toute une carrière avec des choix si radicaux, cédant aussi peu à ce qui deviendra le système majoritaire du prêt-à-porter et du luxe. Il fait pourtant un écart vers le prêt-à-porter en 1968 dans le cadre d’une commande pour la compagnie Air France qui lui demande de dessiner les uniformes de ses hôtesses de l’air – expérience périlleuse dont l’un des épisodes retrace la genèse. La proposition de Balenciaga est vivement critiquée, jugée inadaptée au travail du personnel entravé dans ses mouvements ; la praticité de l’uniforme lui importe en effet moins que l’élégance de sa ligne. Aristocrate de la couture, il reconnaît ne pas être fait pour habiller les gens de la rue. Le tournant social de l’année 1968 et l’essor du prêt-à-porter précipitent la fermeture de sa maison, confirmant son statut définitivement à part parmi les couturiers de « la haute ».
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Pour en savoir plus : Marie-Andrée Jouve, Cristóbal Balenciaga, éditions du Regard, 2023. / Igor Uria, Fashion and heritage : Cristóbal, Fundación Cristóbal Balenciaga, 2020. / Marie-Andrée Jouve, Balenciaga, éditions Assouline, coll. « Mémoire de la mode », 2014. / https://www.cristobalbalenciagamuseoa.com/fr/decouvrir/cristobal-balenciaga/